Maudits Québécois?
En 2005, le Québec a accueilli 43 000 immigrants. Plusieurs d’entre eux ont cependant plié bagage quelque temps après pour s’en retourner d’où ils étaient venus : en France. Quelle mouche noire pique donc nos cousins? Par Geneviève Allard
De 2001 à 2005, plus de 3 500 Français sont débarqués au Québec, soit autant que les Chinois. C’est sans compter les milliers d’étudiants et les 4 000 travailleurs temporaires français qui résident dans la province et qui sont tous des immigrants potentiels.
Cependant, bon nombre retournent finalement au bercail, parfois amers et déçus. Selon des données recueillies par le démographe Marc Termote, affilié à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), un immigrant français sur cinq a regagné ses terres après deux ans et demi. Seulement la moitié serait encore au Québec au bout de huit ans.
«Nous savons que des centaines de familles quittent le Canada chaque année, mais il s’agit seulement de celles qui passent par le consulat pour organiser leur retour en France. Leur nombre total est difficile à quantifier», confirme Arnaud Putz, ex-conseiller en emploi pour le Consulat général de France à Montréal, récemment retourné chez lui, après un mandat de deux ans à titre de volontaire international auprès du Consulat.
Quelle mouche noire pousse nos cousins à déserter leur terre d’accueil? Le coupable, c’est le travail, ou plutôt le manque de travail. C’est ce qu’entend régulièrement Edwige Durand, présidente de Montréal-Accueil, une association spécialisée dans l’accueil des travailleurs temporaires français. «Le plus grand facteur de frustration des personnes qui rentrent en France reste l’emploi. Soit ils n’ont pas trouvé d’emploi, ou celui qu’ils espéraient, soit leurs diplômes ne sont pas reconnus, ce qui les empêche de travailler dans leur domaine, notamment comme médecin ou infirmière.»
Arnaud Putz confirme ces frustrations vécues par ses concitoyens. «Pour les avocats, les infirmiers et les médecins, il est difficile de se faire accepter par les ordres professionnels qui régissent ces professions. Et parfois la procédure implique des frais ruineux.»
Pourtant, le Québec a adopté une politique d’immigration très ouverte pour les francophones. Mais selon le Consulat général de France à Montréal, un projet d’expatriation au Québec se prépare pendant au moins deux ans, compte tenu des délais pour l’étude des demandes effectuée par les autorités québécoises. Cette période est nécessaire pour amasser suffisamment d’argent pour vivre à Montréal durant six mois sans travailler, délai moyen pour l’obtention du premier emploi.
Aussi, l’institution suggère d’apprendre l’anglais et de se documenter sur les différences socioculturelles entre la France et le Québec, si possible en venant faire un séjour dans la province.
Plus vert ailleurs
Venu au Québec une première fois en 1992 pour étudier, Tristan Geoffroy a suivi à la lettre les recommandations du Consulat. Il y est revenu en 1998 accompagné de sa conjointe Nadia, cette fois pour travailler. Mal du pays lui en prit, le couple est retourné en France en 2003, avant de revenir ici une quinzaine de mois plus tard. Pour de bon! promettent-ils. «Les conditions de travail sont meilleures ici, les salaires sont plus élevés et les loyers plus bas», explique Nadia.
«J’ai reçu toutes sortes de commentaires concernant l’intégration des Français sur le marché du travail québécois, explique Edwige Durand, de Montréal-Accueil. Certains sont très satisfaits et se sont bien intégrés. D’autres, moins bien, faisant face à une certaine hostilité. J’ai vu le cas d’un assureur qui était obligé de parler anglais parce que les Québécois trouvaient son accent pointu! En fait, je pense qu’il s’agit d’une question de personnalité, aussi bien d’un côté que de l’autre, et que cela dépend du domaine d’activité. En général, ça se passe très bien.»
Immigrants admis au Québec selon la catégorie détaillée, 2001-2005
105 650 travailleurs qualifiés = 52,2 %
11 867 gens d’affaires = 5,9 %
44 186 regroupement familial = 21,8 %
9 323 réfugiés pris en Charge par l’État = 4,6 %
Pierre Salducci est arrivé de France en 1989 pour faire un doctorat sur la littérature québécoise. Il n’y est jamais retourné. «Ce n’est pas une immigration décidée d’avance. Ça s’est fait par hasard, avec le temps», dit-il. Il a vécu à Montréal pendant un peu plus de 10 ans et a acquis une solide réputation comme écrivain dans le monde de la littérature gaie.
«Tous mes rêves se sont réalisés au Québec : je voulais travailler dans l’édition, je l’ai fait. Je voulais être critique littéraire, je l’ai fait. Je voulais faire de la télé, je l’ai fait. Je voulais écrire des livres, je l’ai fait. Et tout ça aurait été impossible en France. Je suis très reconnaissant au Québec de m’avoir donné la chance de faire tout ça.»
Mais Pierre Salducci a finalement quitté le Québec, lui aussi. Il est aux îles Canaries depuis un an, où il est copropriétaire d’un café Internet avec son conjoint. L’écrivain justifie sa décision de façon véhémente, même si Montréal était «un paradis pour les gais». «La situation économique du Québec se détériore; il fait trop froid; il y a un manque évident de culture; la langue française est maltraitée; et je ne me voyais tout simplement pas y vieillir. C’est de plus en plus difficile d’être prospère au Québec lorsqu’on est un intellectuel ou un artiste.»
Selon la présidente de Montréal-Accueil, Edwige Durand, la mauvaise qualité des institutions publiques québécoises est souvent une source de déception pour les Français. «Le niveau, jugé bas, de l’éducation publique, pour ceux qui ne peuvent payer des écoles privées, et l’impossibilité de trouver un médecin de famille ou de bénéficier de visites à domicile pour les enfants malades peuvent être des facteurs de frustration.» L’éloignement de la famille, la politique et le climat sont aussi des facteurs non négligeables dans la décision de certains de revenir sur leur choix.
«C’était une immigration par choix, et quand tu fais des choix, tu peux toujours revenir sur ta décision. Après 10 ans ici, je peux dire qu’aucun des deux pays n’est mieux que l’autre, c’est simplement différent», fait remarquer Florence Lepage, une amie du couple Geoffroy, qui habitait sur le Plateau-Mont-Royal mais qui a tout plaqué cet été pour regagner ses pénates en France, avec mari et enfant.
«Les Français qui retournent chez eux ne voient pas nécessairement leur immigration comme un échec ou une mauvaise expérience. Il s’agit seulement de la fin d’une expérience», juge Arnaud Putz.
Alors, Québécois, ne le prenez pas personnel!
Des immigrants qui parlaient le français à leur admission en 1995, 87 % étaient toujours au Québec en 2006. Chez ceux qui ne connaissaient que l’anglais, ce pourcentage baisse à 75 %, ce qui est presque identique à celui des immigrants ne connaissant ni l’une ni l’autre des deux langues officielles (74,8 %).
Sur les 332 000 immigrants admis au Québec de 1995 à 2004, plus de 80 % étaient toujours sur place en 2006. de la cohorte admise en 1995, 75,6 % vivent encore ici aujourd’hui.
source: Magazine Jobboom Vol. 7 no. 9 octobre 2006